Nouvelle|16 mai 2023

Entrevue exclusive avec Leonardo Bellaccini, Oenologue et Directeur de production de San Felice

Bonjour Leonardo, pour commencer l’entrevue et apprendre à vous connaître : comment êtes-vous devenu œnologue/producteur de vin? Est-ce que votre famille était déjà dans le vin?

Sienne, la ville ou je suis né, est une ville connue surtout pour les banques. Il y a la banque la plus vielle du monde, et tous les garçons de mon âge étudiaient pour travailler à la banque. C’était un métier très bien payé. Moi je ne me voyais pas travailler dans un bureau, alors j’ai décidé d’étudier l’agriculture. Ce n’était pas une tradition familiale, c’était un choix personnel que j’ai fait à 15 ans. Pendant mes études, un court de viticulture/œnologie a été ouvert. Je ne connaissais pas le vin, mais j’ai voulu essayer et cela m’a passionné. J’ai étudié dans la même classe que la fille de l’ancien directeur général du domaine San Felice. Pendant l’été, comme étudiant, j’ai commencé à aller là pour faire un peu d’expérience et gagner un peu d’argent pour les vacances. A la fin de mes études, San Felice cherchait un œnologue. Il voulait engager sa fille, mais elle, ne voulait pas travailler pour son père, alors elle m’a appelé. C’était en fin mai 1984. J’ai commencé par faire les contrôles chimiques du vin en laboratoire, et en 89 je suis devenu l’œnologue. Depuis 1999, je suis aussi le directeur de la production.

Quel est le rôle de l’œnologue?

Le rôle de l’œnologue, c’est de faire du bon vin! (Rires) On y arrive avec les connaissances scientifiques et techniques et avec l’expérience. On a besoin d’avoir une expérience dans la vigne, dans la cave. La vinification, le vieillissement, la mise en bouteille, sont des moments critiques pour le résultat final. Avoir une expérience si longue dans le même domaine, m’a donné cette possibilité de très bien connaitre notre vignoble. Beaucoup d’ouvriers sont des ouvriers qui ont commencé en même temps que moi. On a grandi ensemble. Je n’aurais jamais pensé rester 40 ans dans la même cave, mais ça a été un endroit magique. Maintenant en Italie on parle beaucoup de qualité, mais à l’époque San Felice a été un des premiers à avoir cette démarche avec une méthode scientifique. On a travaillé beaucoup avec l’université et on travaille toujours avec d’ailleurs, pour essayer d’être toujours à l’avant-garde et augmenter la qualité de notre vin.

Qu’est-ce que fait un œnologue dans les laboratoires?

Quand j’ai commencé, on faisait seulement les analyses de base. Pour le raisin : le taux de sucre, l’acidité, pour le vin, le taux d’alcool, l’acidité, l’acidité volatile. Aujourd’hui on peut aller encore plus dans le détail. Il y a des laboratoires spécialisés qui sont sophistiqués. On peut analyser la peau du raisin pour voir son niveau de maturation, tous les précurseurs des arômes. 

Quelle est la relation entre le propriétaire du vignoble et l’œnologue?

Ça dépend, c’est aussi une question de personnes et de caractères. Personnellement, je pense que ça doit être une relation très proche, car la philosophie de la propriété doit être interprétée par l’œnologue. C’est deux choses qui doivent aller dans la même direction.

Comment vous interagissez avec les sommeliers?

Ce sont deux métiers bien différents. Les sommeliers ont besoin d’avoir une culture très étendue qui touche aussi à la gastronomie. Ils doivent connaitre les différents cépages, les différentes régions qu’ils proposent ensuite à la carte d’un restaurant. L’œnologue, lui, a une connaissance plus technique de la viticulture, la physiologie de la vigne. Finalement l’un et l’autre sont là pour aider les consommateurs à différents niveaux.

Est-ce que vous avez la possibilité d’amener votre touche personnelle au vin?

En Italie et en Europe, on essaie de donner au vin la personnalité du Terroir. Dans le reste du monde, on parle de cépage et de l’œnologue. Chez nous on parle surtout d’appellation : Chianti classico, Montalcino … L’appellation donne une physiologie au vin en général. Après quand on va plus en détail au niveau du vignoble, il y a quand même la possibilité de donner une expression plus personnelle. Moi je préfère que mon vin soit reconnu comme le vin de San Felice plutôt que le vin de Leonardo Bellaccini.

Est-ce que vous voyez des impacts du changement climatique et comment ça vous affecte?

Tout le monde en a vu! Quand j’étais étudiant je faisais les vendanges en octobre, on s’habillait en jeans et en bottes. Aujourd’hui on la fait avec un mois d’avance, il fait beau, on est en short et en T-shirt! Dans les années 80, les viticulteurs cherchaient à avoir assez de sucre dans le raisin, on avait 2 3 grandes vendanges. Aujourd’hui on a le problème inverse, on essaie de ne pas avoir trop de sucre, pas trop d’alcool dans le vin. On essaie de garder l’acidité qui est ce qui permet de garder l’équilibre du vin.

Dans les années 90 par exemple, j’ai fait le choix de rénover le vignoble en choisissant des pieds et des portes greffes dans le but de réduire la production par pied, pour augmenter la qualité. Aujourd’hui avec la sécheresse, tous ces choix qu’on a fait sont exacerbés. La production par pied est vraiment faible. Alors on est en train de repenser les méthodes de taille sans changer le vignoble. Nos vignobles ne sont pas arrosés. On doit penser autrement. Pour les nouveaux vignobles on utilise des portes greffes de vignes de climats désertiques qui sont plus efficientes dans l’utilisation de l’eau.

Quelle est la chose qui vous a rendu le plus fier en tant producteur de vin jusqu’à présent?

Il y a beaucoup de choses! Mais quand on parle à tout le monde qui travaille à San Felice, personne ne veut quitter la maison. La qualité de vie qu’une maison comme San Felice peut garantir à presque une centaine de familles de la région, c’est la chose qui me rend le plus fier.

Est-ce que vous pouvez déjà nous dire comment sera le millésime 2023?

La seule chose qu’on peut dire, c’est qu’on a passé le premier obstacle. On est hors de danger du gel de printemps. Mais on ne sait pas ce que nous réservent les prochains mois…la sécheresse, la grêle…les premiers 3 ou 4 mois conditionnent plutôt la quantité, et ce sont les derniers mois avant la vendange qui vont conditionner la qualité. Alors aujourd’hui il est trop tôt pour se prononcer!

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